Photo par onurdongel sur Istock
Au mois de novembre, je me suis levée très tôt pour être à 6h30 devant mon ordinateur (satané décalage horaire, ahah!) et écouter un webinaire organisé par Charlotte Gamard, créatrice du compte Instagram et du blog Réflexions orthophoniques, au sujet de la veille scientifique en orthophonie. Le webinaire était présenté par ma copine Frédérique Miller, fondatrice du blog Achille-orthophonie. Si vous voulez l'écouter, voici le lien vers l'enregistrement.
Mais alors, allez-vous me dire, s'il y a eu un webinaire, pourquoi cet article ? Et bien parce que, même si j'ai beaucoup aimé le webinaire, c'est allé trop vite pour moi ! J'ai donc demandé à Frédérique d'écrire cet article avec moi pour les gens qui, comme moi, préfèrent lire qu'écouter un webinaire. C'est parti !
Quand on se pose une question... où chercher ?
Souvent, on cherche de la littérature scientifique parce qu'on se pose une question ! Alors admettons que l'on se pose la question suivante : quelles sont les thérapies efficaces pour la rééducation des troubles phonologiques des enfants d'âge préscolaire ?
Notre premier réflexe sera le plus souvent d'aller simplement taper notre question dans Google.
Comme on peut le voir sur les captures d'écran, les résultats qui apparaissent suite à ma question correspondent soit à des sites de cabinets d’orthophonie (c’est légal au Québec), soit à des rapports gouvernementaux, soit à des articles de blog, comme Tout cuit dans le bec ou même celui-ci, hihi ! Pas vraiment de la littérature scientifique, donc !
L'intelligence artificielle
Depuis quelques mois, on a aussi le réflexe “Intelligence Artificielle” quand on se pose une question. Et bien, quand on pose la même question à Chat Gpt, il détaille des réponses, qui paraissent plausibles. On notera tout de même le terme “pairs minimaux” qui doit être une mauvaise traduction de l’anglais. Néanmoins, quand on lui demande de citer des sources scientifiques pour étayer ses propos, il nous renvoie à des articles de blog ou à des sites de matériel orthophonique. Pas beaucoup mieux que Google donc, si on veut accéder à des études scientifiques. Le résultat est globalement identique avec Perplexity, qui donne ses sources (mais là encore, ce sont des articles tous publics disponibles sur Google).
NB : il s'agit des versions gratuites de ces outils d'IA. Nous n'avons pas testé les versions payantes.
Google Scholar
Google Scholar est un outil gratuit qui permet de repérer des sources de nature universitaire (des articles, des mémoires, des thèses, des actes de congrès).
Pour notre question, quand on cherche en français, on trouve quelques articles (environ 50 résultats). En revanche, la recherche en anglais fait sortir 4590 résultats. Wahoo ! Cela ne veut pas évidemment pas dire que tous les articles sont issus de recherches réalisées dans des pays anglophones, mais l’anglais reste la langue scientifique qui permet à tout le monde de comprendre les résultats des recherches réalisées aux USA, au Canada, en France, en Italie, en Pologne, en Chine, en Australie…
On peut également créer une alerte facilement pour être averti·e des dernières publications en lien avec nos mots-clés. La problématique néanmoins est que le tri par pertinence est un peu opaque (on ne sait pas vraiment sur quels critères le moteur de recherche se base). De plus, il est difficile de faire une recherche plus poussée, en triant par types de documents, par exemple.
Google Scholar reste néanmoins un très bon outil. Si vous voulez en savoir plus sur son utilisation, vous pouvez aller voir cette vidéo très bien faite par l’université de Montréal :
https://www.youtube.com/watch?v=YBvMnQUJ_RM&t=1s
Pubmed
PubMed, est le moteur de recherche qui permet d’explorer Medline : mise en ligne par la National Library of Medicine, c’est une base de données internationale en sciences de la santé et en sciences biomédicales. Plus de 5200 périodiques y sont indexés (médecine, sciences infirmières, dentisterie, médecine vétérinaire, sciences paramédicales…) et 37 millions d’articles y sont répertoriés depuis 1946.
Pour obtenir des résultats plus pertinents, on peut utiliser les descripteurs MesH. Voici une vidéo dans laquelle Frédérique vous explique comme cela fonctionne.
Speechbite
Speechbite permet de chercher des articles uniquement en lien avec l'orthophonie. C'est donc un outil puissant. Pour notre question, il ne trouve néanmoins "que" 10 articles. Le site donne toutefois une évaluation globale de certains articles avec une note sur 10.
Comment obtenir l'intégralité des articles ?
Certains articles sont en accès libres depuis Google Scholar ou les bases de données comme PubMed, etc., mais pas tous, malheureusement, et certains sont payants (et chers !).
Quelles options a-t-on dans ce cas ?
- A l'Université : si on fait partie d’une université, parce qu’on y étudie ou qu’on y enseigne par exemple, le premier réflexe est de se connecter aux bases de données via nos accès à la bibliothèque universitaire.
- Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ) : les résident·es du Québec peuvent s’inscrire gratuitement à la BAnQ et accéder ainsi aux revues révisées par les pairs de l’ASHA. Youhou! (Merci à Mélissa Di Santé et Marie-Pier Gingras pour l'information!). Pour accéder à la page d'abonnement, c'est ici : https://www.banq.qc.ca/notre-institution/banq/vous-abonner-12-ans-ou-plus/
- Unpaywall : il s'agit d'une extension à installer gratuitement sur votre navigateur qui permet d'obtenir les articles gratuitement s'ils sont disponibles. Voici le lien pour télécharger l'extension : https://unpaywall.org/welcome
- Orbi : les articles écrits par des chercheuses et chercheurs de l’Université de Liège sont disponibles sur le site https://orbi.uliege.be/
- Papyrus : les articles écrits par des chercheuses et chercheurs de l’Université de Montréal sont disponibles sur le site https://papyrus.bib.umontreal.ca/xmlui/
- Researchgate : ce site permet d’obtenir les coordonnées des chercheurs et de leur demander l’article directement, s’ils ne sont plus sous embargo auprès de leur éditeur : https://www.researchgate.net/
Comment déterminer si un article est pertinent ?
Comme nous l'avons vu, énormément d'articles sont disponibles. Alors comment savoir lesquels sont pertinents pour répondre à notre question et lesquels le sont moins. Différents sites, notamment d'université, nous donnent des pistes pour évaluer la qualité de nos sources. J'aime notamment beaucoup les ressources proposées par l'Université du Québec à Montréal : https://infosphere.uqam.ca/analyser-linformation/evaluer-un-article-revue/
Le contenu
Pour déterminer si l'article sera pertinent pour répondre à nos questions, on va s'en faire une idée rapide en lisant notamment le titre, le résumé et en regardant les graphiques et les schémas. Déjà à ce stade, cela peut nous donner une bonne idée de la pertinence de l'article et si on va prendre le temps de lire la totalité de l'article ou non.
La revue, l'éditeur, les personnes autrices
Vérifier dans quelle revue a été publiée l'article est aussi un bon moyen d'avoir une idée de sa fiabilité. En effet, si l'article a été relu par des pairs, cela signifie que l'article a été relu par des personnes neutres avant d'être publié, ce qui diminue certains biais. Bien sûr, ce n'est pas un gage absolu de qualité.
Attention ! Certaines revues sont dites "prédatrices" : ce sont des revues frauduleuses dont les services éditoriaux sont minimaux, voire inexistants. Heureusement, l'orthophonie ne semble pas trop touchée par ce type de revue.
Voici un tableau récapitulatif des différentes revues en orthophonie (merci à l'UQTR pour l'idée !) :
Il peut aussi être intéressant de consulter qui sont les personnes qui ont écrit l'article (notamment la première personne autrice). La personne a-t-elle écrit d'autres articles sur ce sujet, des renseignements biographiques sont-ils disponibles, est-elle affiliée à une université ?
Bref, des éléments qui peuvent aussi nous donner une idée de la qualité de l'article.
Le niveau de preuves
Depuis qu’on parle d’EBP, on entend souvent parler du niveau de preuves en science. Et en effet, tous les articles scientifiques ne représentent pas le même niveau de preuves. Un témoignage du type "bah ça marche, j'ai une copine qui a fait répéter tous les jours des mots à son enfant et ensuite, il parlait mieux" n'a évidemment pas le même niveau de preuves qu'un essai expérimental avec réplication.
Attention toutefois à toujours prendre en compte l'expérience des patient·es et leurs préférences, sans tomber dans le "tout science".
Pour rappel, voici ci-dessous une synthèse des niveaux de preuves en science.
Qu'est-ce qu'on fait des articles ensuite ?
Une fois qu’on trouve un article, il y a plusieurs manières de faire :
- l’imprimer et le mettre dans un beau classeur, à l’ancienne, ahah !
- enregistrer la version pdf dans les méandres de notre disque dur en prenant le temps de le renommer (ou pas!). Pour ma part, quand j’utilisais cette méthode, je renommais toujours de la même manière : Auteur, Année, Titre global. Avantage : c’est rapide. Inconvénients : Renommer est parfois chronophage, on peut vite être submergé par le nombre d’articles
- utiliser un logiciel de gestion bibliographique comme Mendeley ou Zotero, gratuits tous les deux. Ils ont des fonctions permettant d’enregistrer directement le document pdf depuis le navigateur, de renommer automatiquement le pdf et d’enregistrer toute la référence dans des collections spécifiques sur le logiciel. On peut aussi y prendre des notes. J'en avais déjà un peu parlé dans mon article sur la reprise d'études mais si cela vous intéresse d’en savoir plus sur la façon de gérer sa bibliographie, je pourrai faire un nouvel article plus spécifique sur le sujet.
Et si on cherche des synthèses, on fait comment ?
Chercher des articles, ce n'est pas simple et sélectionner lesquels il faut vraiment lire, encore moins ! C'est chronophage, fatigant et quand on est clinicien·ne, c'est parfois vraiment difficile de dégager du temps... Alors comment faire ?
Aller en formation
Demander aux formateurs et formatrices quels articles ils nous recommandent de lire en priorité est toujours une bonne idée. Ce n'est pas un exercice simple pour la personne qui forme d'ailleurs, mais cela peut être très intéressant ! Donc n'hésitez pas à leur demander ! Et si on n'ose pas demander, jeter un oeil à la bibliographie fournie est déjà intéressant.
Fouiner sur Tout cuit dans le bec ou sur Achille-orthophonie
Si on cherche des articles en français, le formidable blog québécois fondé par Marie-Pier Gingras et Mélissa Di Santé et celui d'Achille-orthophonie sont des mines d'or ! Alors bien sûr, lire les interprétations qui sont faites sur les blogs ne devrait pas dispenser d'aller lire les articles originaux, mais cela peut déjà donner un bon point de départ pour savoir si les articles pertinents ou non.
Les recommandations de la Haute Autorité de Santé (HAS)
En France, la HAS publie des recommandations selon différentes pathologies. Les documents mis à disposition sont des synthèses en fonction des pathologies, avec notamment des parcours diagnostiques, des plans de traitement. Il est toujours intéressant d'aller chercher sur le site de la HAS quand on s'intéresse à une pathologie. Attention néanmoins : les recommandations ne sont pas forcément toujours récentes. Ainsi, les dernières recommandations pour les troubles du langage datent de 2017. Des recommandations plus générales pour les TND datent de 2020.
Par ailleurs, le moteur de recherche n'est pas toujours optimal pour trouver les recommandations adéquates et pour trier les résultats. Il est parfois plus efficace d'aller directement sur Google et de taper "troubles parole recommandations HAS" pour trouver les recommandations. Et pour les trouver encore plus facilement, vous pouvez aller sur le site de l'UNADREO qui a eu la géniale idée de regrouper les recommandations HAS utiles en orthophonie : https://www.unadreo.org/recommandations-has/. Merci l'UNADREO !
ASHA Evidence Maps
L'Association Américaine des Orthophonistes et des Audiologistes met gratuitement à disposition des orthophonistes des "Evidence Map" classées par thèmes. Les articles sont sélectionnés selon différents indicateurs, ce qui permet d'avoir une idée de leur qualité. De plus, chaque article est résumé. Bref, une mine d'or si on maîtrise un peu l'anglais (et sinon, des outils de traduction comme DeepL sont vraiment utiles).
Toutes les informations sur les Evidence Maps sont ici : https://apps.asha.org/EvidenceMaps/
Informed SLP
Mais alors, notre question sur l’efficacité des thérapies orthophoniques dans les troubles des sons de la parole ? Et bien, c’est finalement sur the Informed SLP que nous avons trouvé la meilleure réponse ! Il s’agit d’un site américain sur lequel des expert·es en recherche et en orthophonie résument et font des synthèses d’articles, afin que les clinicien·nes sachent “ce qui fonctionne”.
Et en août 2022, Alison Sauerwein, orthophoniste et professeure assistante à la Southern Illinois University, a écrit un article (en anglais, gratuit) qui s’intitule “Tout ce que vous voulez savoir au sujet des thérapies de rééducation des troubles des sons de la parole” https://www.theinformedslp.com/review/everything-you-want-to-know-about-treatment-approaches-for-speech-sound-disorders. Il y a même un tableau récapitulatif à télécharger et une section “Pour aller plus loin” si vous voulez aller lire directement les articles de référence (c’est d’ailleurs très recommandé!)
A noter que pour accéder à la totalité des articles publiés sur le site, un abonnement mensuel est requis (entre 12 et 19$ US). Mais comme il y a certains articles gratuits, profitons-en !
Résumons...
Alors, comment on fait, dans la vraie vie ?
- je m'abonne à la newsletter des différents blogs et sites cités
- lorsqu'on me recommande un article (en formation, lors d'une discussion, etc.), je le range tout de suite dans un dossier de mon ordinateur ou sur Zotero dans le dossier "A lire" en notant pourquoi pas quelques informations sur une note (qui me l'a recommandé, le thème général)
- je ne prends pour argent comptant tout ce qui est dit sur Google et je vérifie mes sources
- je me fais confiance et j'ai bien en tête que, quand on travaille avec des humain·es, l'incertitude est de mise. Les études scientifiques ont pour objectif de venir confirmer ou infirmer nos impressions, mais elles ne remplacent ni le pilier Patient, ni le pilier Expertise clinique. :)
Voilà, voilà ! Frédérique et moi espérons que ce long article vous sera utile. Et bien entendu, comme d'habitude, cet article n'est pas une recommandation. Il s'agit simplement d'un partage de nos pratiques professionnelles.
N'hésitez pas à commenter si vous avez des réflexions, des questionnements, des partages, on a hâte d'en discuter avec vous !
A très vite !
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Irène LANOUX (jeudi, 23 janvier 2025 16:04)
Bonjour,
Un grand MERCI pour vos recherches et ce travail synthétique très utile à notre pratique.
Je suis épatée !
Bonne continuation :)
Irène
Laure (vendredi, 24 janvier 2025 22:12)
Bonjour, merci beaucoup pour cet article ! très intéressant et pratique, comme d'hab :)
et je trouve que ça serait une super idée très utile d'écrire un article sur la gestion de la bibliographie !! merci encore
Claire (mercredi, 29 janvier 2025 05:15)
Merci pour vos commentaires ! :) Je me lance dans l'article sur la gestion de la bibliographie dès que j'aurai 5 minutes. :)