C'est T., 8 ans, qui m'a dit cette phrase en arrivant dans mon bureau, après avoir passé 15 minutes avec sa maman en salle d'attente, alors que cette dernière jouait sur son téléphone. Cela m'a fait réfléchir... Car on entend beaucoup, partout, tout le temps, "les écrans, c'est pas bon pour les enfants !", mais est-ce vraiment le cas ? Et qu'en est-il pour nous, adultes ? Et si les enfants ne faisaient que... nous imiter ?
J'ai eu envie d'en savoir plus et ai lu différents articles. Je vous partage donc ma (longue!) réflexion au sujet de ces fameux "écrans".
Les écrans et moi
Il y a une dizaine d'années, alors qu'on en entendait encore peu parler, j'étais au taquet sur les écrans. J'avais lu les articles de Michel Desmurget, j'avais téléchargé les prospectus "pas d'écran avant 3 ans" et je les avais mis à disposition dans la salle d'attente. Je me disais: "non mais les écrans, c'est évident, il y a un truc, c’est pas bon pour le cerveau… » J'y allais gaiement avec mes bons conseils et je me disais que c'était important de sensibiliser les parents, les enseignant·e·s, les collègues...
Mais quand, quelques années plus tard, alors que la médiatisation des "effets des écrans" battait déjà son plein, une amie orthophoniste m’a raconté, inquiète et anxieuse, qu’elle se sentait être une « mauvaise maman » car sa fille de 3 ans a regardé un épisode de Petit Ours Brun pendant 5 minutes avant d’aller à l’école ou que certains parents refusent les outils de CAA sur tablette car "les écrans, ce n'est pas bon", je me suis dit : "n’a-t-on pas poussé le bouchon un peu trop loin ?"
D’autant que, celles et ceux qui me connaissent un peu le savent... je suis une geekette, et les écrans, j'aime ça ! Très connectée (sauf quand je suis en vacances, hihi), un iPad, un Mac, un iPhone, plein d'applications et toujours envie de savoir comment les technologies pourraient me faciliter la vie, tant au niveau professionnel que personnel ! Et quand j'y pense, quand j'étais petite, j'étais déjà "écranvore". J'ai aimé, non, adoré, jouer à la Gameboy (oui, oui, les vieilles Gameboy même pas en couleurs, les ancêtres la Switch !), j'ai beaaaaaucoup regardé la télé (et des trucs pas très malins, du genre Olive et Tom, les tortues Ninja et Hélène et les Garçons, voire carrément violents comme DragonBall Z et les Chevaliers du Zodiaque) et j'ai adoré créer ma première adresse E-mail quand les modems faisaient encore un bruit de type connexion-avec-les-extraterrestres (tududuuuuubzzzz...). Et, malgré tout ce temps passé devant des écrans divers et variés, je ne présente ni troubles du langage, ni réel trouble attentionnel, et j'ai plutôt un chouette métier.
Peut-on conclure que c'est grâce au temps passé devant les écrans que j'ai réussi à faire des études ? Non, évidemment, me direz-vous ! Mais conclure l'inverse, à savoir que le temps passé devant les écrans diminue les performances cognitives, est-il plus raisonnable ? Je n'en suis pas certaine !
Mais alors, les écrans, c’est méchant ou c’est pas méchant ? Que sait-on aujourd'hui sur les liens entre écrans et développement ?
Corrélation ou causalité ?
Avant toute chose, petit rappel : corrélation n'est pas causalité. Cela signifie que ce n'est pas parce qu'un lien est montré entre deux événements que ce lien est forcément causal.
Pour montrer cela, en 2012, Dr Messerli a publié une note dans le très sérieux journal The New England Journal of Medicine (1) dans laquelle il montrait une corrélation positive entre consommation de chocolat et... prix Nobel ! C'est la Suisse qui gagne haut la main, comme vous pouvez le voir sur le graphique ci-contre.
Mais peut-on dire que plus on consomme de chocolat, plus on a de chances d'avoir un prix Nobel ? ;-)
Ceci étant dit, revenons à nos écrans, avec en tête que les études proposées parlent de corrélation positive ou négative, mais pas de causalité. CQFD.
Temps d'exposition aux écrans
Chez les adultes
Tous les lundis matins, mon iPhone m'indique combien de temps j'ai passé sur mon téléphone la semaine précédente. Tous les lundis matins, je me dis "quoi?! N'importe quoi! Ce n'est pas possible...". Entre 3 et 4 heures par jour, selon les semaines... Et seulement sur mon téléphone, ce qui n'inclut ni mon ordinateur, ni ma tablette. Gloups...
Et visiblement, je suis dans la moyenne puisque, d'après une étude menée par le bureau d'études BVA sur 1000 Français de plus de 18 ans en mai 2019 (NB : il y a sûrement des études plus récentes, mais je n'ai pas trouvé grand'chose), les Français passent en moyenne 4 heures et 30 minutes par jour devant les écrans, 1h24 en moyenne pour des motifs professionnels et 3h06 en moyenne pour des motifs personnels. La seule exception serait les cadres, dont la majorité du temps passé sur écran serait d'ordre professionnel (pour voir les détails de l'étude, c'est ici).
Dans une autre étude menée sur 486 parents d'enfants âgés de 3 mois à 3 ans habitant en Suisse et en France en 2021 (2), il est mesuré que la consommation récréative des écrans par les parents est d'environ 2 heures par jour en moyenne. Et dans cette étude, la consommation récréative journalière est statistiquement plus haute pour les parents de la classe sociale supérieure que celle des parents de la classe moyenne-inférieure.
Et là vous vous dites... mais c'est n'importe quoi, elles se contredisent les études ! Et oui... malheureusement...
Bon voyons voir chez les enfants !
Chez les enfants
En 2019, l'OMS a recommandé de bannir les écrans avant l'âge de 2 ans (la vidéoconférence avec les proches étant la seule exception possible) puis de limiter l'exposition à 1 heure par jour entre 2 et 5 ans.
Il y a peu de données françaises sur le temps d'exposition aux écrans chez les enfants. Néanmoins, deux études de l'ANSES (Agence Nationale de Sécurité Sanitaire de l'Alimentation, de l'Environnement et du Travail) (3) qui ont porté sur 2698 enfants rapportent que les durées d'exposition aux écrans (tous écrans confondus) étaient stables entre 2009 et 2017. Elles rapportent en 2017 :
- en moyenne, 1h47 pour les enfants entre 3 et 6 ans
- en moyenne, 2h28 pour les enfants entre 7 et 10 ans
A noter qu'il y a de grandes différences interinvididuelles et que le temps d'exposition aux écrans des enfants français est plus faible que celui des enfants anglosaxons et asiatiques.
Dans une étude plus récente menée par Céline Combes et son équipe entre décembre 2019 et février 2020, puis entre novembre 2020 et mars 2022, qui a concerné 580 enfants français (dont 60 nés prématurément ou présentant un trouble du neurodéveloppement) âgés de 2 à 12 ans (4), la durée journalière moyenne indiquée par les parents est de :
- 51 minutes pour les enfants de moins de 2 ans
- environ 1 heure pour les enfants de 3 à 5 ans
- entre 1h20 et 1h48 pour les enfants de 6 à 12 ans
L'étude a aussi montré que plus le niveau d'étude moyen des parents est élevé, plus le temps d'usage des écrans diminue chez les enfants entre 2 et 12 ans.
Par ailleurs, Coralie Chevallier, sur le blog de Franck Ramus, parle d'une étude visant à évaluer l'impact d'un programme éducatif visant à améliorer les performances scolaire en zone d'éducation prioritaire REP et REP+, avec une méthodologie d'essai randomisé contrôlé, auprès de plus de 20 000 collégiens sur tout le territoire français. Les résultats montrent un effet sur les notes au collège, avec une amélioration des notes pour le groupe qui a bénéficié du programme éducatif. Ils montrent également que ces mêmes collégiens (qui ont de meilleures performances scolaires donc) ont aussi passer PLUS de temps sur les écrans. Difficile de savoir pourquoi, mais en tous les cas, cela montre que le temps d'exposition aux écrans n'est pas forcément négatif ou positif.
Que penser de ces durées d'exposition aux écrans des enfants français (5) ?
- Même si ces durées ont augmenté durant la crise sanitaire du COVID-19, elles restent inférieures à celles des autres pays industrialisés.
- Il ne semble pas nécessaire de s'alarmer vu qu'elles sont équivalentes ou inférieures aux recommandations de temps d'écrans quotidien de l'OMS.
- On se garde bien de se dire que le temps passé sur les écrans a forcément un impact négatif.
De quoi rassurer ma copine concernant sa fille et Petit Ours Brun...
Et la "sur-exposition" alors ?
Alors, vous allez me dire que je suis bien mignonne, mais que quand même, il y a des enfants qui sont sur-exposés aux écrans, et cela a forcément des conséquences.
Effectivement, la "sur-exposition" aux écrans présente des effets négatifs en termes de problématiques de santé, avec une prévalence plus importante de la sédentarité, des troubles cardio-vasculaires, de l'obésité (notamment en raison du manque d'activité physique, car on regarde principalement la télévision assis sur son canapé) et des troubles des apprentissages.
Néanmoins, il n'existe pas pour l'instant d'indicateur de base pour qualifier la sur-exposition des écrans, mais on se base actuellement sur le niveau de sédentarité (4). Est-ce que si un enfant de 4 ans regarde la télévision 2 heures par jour, soit 2 fois plus que les recommandations, est-ce de la "sur-exposition" ? Ou est-ce 3 fois plus ? Ou 10 fois plus ? Mystère...
Et l'âge, c'est important, non ?
On l'a vu ci-dessus : le temps moyen d'exposition aux écrans n'est pas le même selon l'âge des enfants.
Et, effectivement, une forte (mais là encore, c'est quoi "forte"?) exposition aux écrans est associée négativement avec le développement du langage, et ce d'autant plus lorsque l'exposition aux écrans a lieu précocement dans la vie de l'enfant. Bref, plus l'enfant est exposé aux écrans tôt dans sa vie, plus il a de risque de développer des troubles du langage. Attention néanmoins, car ces corrélations restent faibles à modérées (5).
Bref, inutile donc de se dire "je vais lui mettre un téléphone en main dès la naissance, ça lui permettra d'apprendre à s'en servir plus rapidement". Ce serait même plutôt délétère pour le développement.
Limites des mesures du temps d'"exposition aux écrans"
Comme le soulignent très justement Estelle Gillioz, Fleur Lejeune et Edouard Gentaz (5) dans leur article de 2022 paru dans A.N.A.E., dans la majorité des études, c'est le "temps d'exposition aux écrans" qui est utilisé comme mesure principale.
Différentes méthodes sont utilisées pour mesurer ce temps d'exposition :
- Le questionnaire : c'est la méthode la plus utilisée. C'est un outil intéressant, non invasif et facile d'accès pour un grand nombre de personnes. On demande à ces personnes volontaires d'indiquer le nombre d'heures passées devant les différents écrans, en répondant à des questions ouvertes ou à choix multiples. Différentes problématiques se posent, qui rendent les comparaisons entre les différentes études difficiles :
-
- ce ne sont pas toujours les mêmes questions qui sont posées. Certains auteurs différencient par exemple la semaine et les week-ends, d'autres différencient le type d'écrans ou le type d'activités.
- les réponses proposées sont différentes aussi, avec parfois des échelles de type Likert ("tous les jours ou presque" ou "une ou deux fois par semaine")
Le questionnaire, bien que très pratique, expose les répondant·e·s à de nombreux biais. En effet, les personnes ont tendance à sous-estimer le temps passé devant les écrans par peur d'être jugées ou pour être "en accord avec ce qu'elles pensent être socialement acceptable (5). Cela s'appelle le biais de désirabilité sociale. De plus, il est vraiment difficile d'estimer ce temps, notamment à cause de toutes les minutes qui sont volées au quotidien. D'ailleurs, moi, jamais je n'aurais estimé que je passe plus de 3 heures par jour sur mon téléphone (je me demande même si personne ne l'utilise à ma place la nuit, tiens...).
Exemples de questionnaires
- L'agenda : afin de limiter les différents biais, les chercheurs proposent aux répondant·e·s de noter dans un carnet le temps d'exposition aux écrans (pour lui ou elle-même et/ou pour son enfant) et les émissions regardées par tranches de quinze minutes par exemple. Les informations étant notées en temps réel, cela permet d'éviter la mauvaise estimation dont je parlais plus haut, mais il est possible que les réponses données ne soient pas représentatives des habitudes quotidiennes, et le biais de désirabilité sociale subsiste.
- Le système d'enregistrement sur téléviseur : plus objectif encore que l'agenda, on peut installer un système d'observation directement sur le téléviseur. Cela permet de mesurer le temps où le téléviseur est allumé, ainsi que de savoir quel est le programme à l'écran, mais le système ne peut savoir qui regarde la télévision à ce moment-là. De plus, cela permet de mesurer uniquement le temps d'allumage de la télévision, or de nombreux autres écrans existent dans nos sociétés occidentales (comme chez moi, avec mon téléphone, mon ordinateur et ma tablette).
- L'observation directe : observer directement les habitudes des familles par un chercheur qui noterait en temps réel ou ferait un enregistrement vidéo serait la méthode la plus objective. Néanmoins, la technique reste invasive et avec un chercheur qui les observe en permanence, les familles pourraient avoir tendance à modifier leurs habitudes de visionnage.
Bref, tout ça pour dire qu'il est actuellement très difficile de mesurer objectivement le "temps d'exposition aux écrans" et que c'est pourtant ce qui est principalement mis en avant dans les études et les recommandations. Peut-on prendre en compte d'autres variables ? Sont-elles importantes ?
D'autres variables
La plupart des études prennent en compte le temps passé devant les écrans. Néanmoins, des études (Bergmann & al. en 2022, cités par Gillioz & al. (5) ont montré qu'il est important de prendre en compte d'autres variables, comme :
- le niveau socio-économique de la famille
- l'âge de l'enfant et des parents
- les contenus visionnés
- la durée d'exposition directe du parent
Donc le temps d'exposition, oui, mais pas uniquement...
Ecrans et langage
Une corrélation négative... qui peut être atténuée
Différentes études se sont intéressées aux liens entre "exposition" aux écrans et développement langagier. Les résultats des métanalyses sont disparates : d'un côté, certaines disent qu'il y a une corrélation négative entre exposition aux écrans durant la petite enfance, notamment au niveau du vocabulaire réceptif (6), tandis que d'autres (7) indiquent que le temps d'écran serait associé à de meilleures performances langagières chez les enfants de moins de 12 ans, si des programmes de bonne qualité (comme des programmes éducatifs) sont proposés et que le temps d'écran est accompagné par un adulte (co-visionnage).
Reste à savoir ce que sont exactement des "programmes de bonne qualité" et le "co-visionnage" (est-ce que juste être dans la même pièce que l'enfant est suffisant ? Faut-il parler pendant le visionnage ? Ou après?)
Concernant le co-visionnage, cela paraît en effet assez logique
Par ailleurs, Tania Tremblay et son équipe (8) ont montré dans leur étude portant sur 240 enfants canadiens de 4 à 7 ans qu'il existait une corrélation négative entre durée d'exposition aux écrans et niveau de compréhension verbale, mais que cet effet devenait moindre si les parents pratiquaient régulièrement des activités favorisant le développement de la littératie (lire des histoires, utiliser des stratégies de soutien langagier,...) C'est ce que l'on peut voir sur le schéma ci-contre proposé dans l'article d'Estelle Gillioz et son équipe dans ANAE (5).
Et les livres numériques ?
Les livres numériques, interactifs sont de plus en plus présents dans notre environnement. Dans ce contexte, Rabel & al. (9) se sont demandé si l'attention conjointe et l'acquisition du vocabulaire était impactées par le livre numérique, par rapport au livre imprimé. Et bien, dans leur étude portant sur 24 dyades parents-enfants, les auteur·e·s n'ont pas trouvé de différence au niveau de l'engagement des parents, de l'attention conjointe et du nombre de nouveaux mots appris entre les deux types de supports. Voilà qui est rassurant en un sens, mais cela reste néanmoins difficile de généraliser.
Technoférence
On parle beaucoup du temps passé par les enfants sur les écrans, mais Estelle Gillioz, Fleur Lejeune et Edouard Gentaz (5) indiquent que l'utilisation excessive d'écrans par les parents peut entraver les interactions et avoir un effet délétère sur le développement de l'enfant (dont le développement langagier). En effet, lorsqu'un adulte utilise son smartphone ou tout autre outil numérique, il n'est plus aussi disponible pour répondre aux demandes de communication de l'enfant. Ce phénomène, identifié par Brandon Mc Daniel, s'appelle "technoférence parentale" (10). Une pensée pour T., mon jeune patient qui m'a fait cette remarque, en titre de cet article...
A noter que c'est bien sûr un phénomène qui existe également entre adultes : si quelqu'un sort son téléphone en pleine discussion, la communication sera coupée. (C'est très énervant d'ailleurs, scrogneugneu!) Cela s'observe largement au restaurant, entre ami·e·s, etc.
Chez l'enfant, cette indisponibilité soudaine de l'interlocuteur ou de l'interlocutrice peut créer un sentiment d'insécurité, et entraver par conséquent son développement psycho-affectif.
Laura Stockdale et son équipe (11) ont par ailleurs reproduit l'expérience du visage impassible introduite par Tronick et al. en 1975 en demandant aux parents d'être sur leur smartphone au moment de la phase de "visage impassible". Il apparaît que le bébé montre aussi des signes d'agitation et de stress, comme dans l'expérience initiale. Une indisponibilité récurrente du parent peut donc engendrer des troubles externalisés du comportement (3).
Pour information, l'expérience du visage impassible ("paradigme de still face") consiste à mettre en action un parent et un bébé. Dans la première phase, le bébé et l'adulte interagissent normalement verbalement et non-verbalement, puis le parent s'arrête et son visage devient impassible. Le bébé va alors cesser aussi l'interaction, puis faire des grimaces, essayer d'attirer l'attention, puis pleurer. Ensuite, les échanges reprennent mais il apparaît que le bébé reprend l'interaction, mais montre des signes de stress.
Par ailleurs, une étude de Lavigne a aussi montré que même si la télévision est simplement allumée dans la pièce, en bruit de fond, sans qu'on la regarde, le vocabulaire utilisé par les parents est moins riche et les phrases sont entre-coupées. (12)
Ainsi, le message semble assez clair. Le temps d'écran des enfants d'accord, mais interrogeons-nous aussi sur nos pratiques d'adultes face aux écrans...
Et dans ma pratique, je fais quoi ?
- Bien consciente du biais de désirabilité sociale, j'ai arrêté de demander aux parents "et il passe combien de temps par jour devant les écrans?". D'autant plus, que je ne sais pas vraiment quoi faire de cette information... Car je ne sais pas quels sont les chiffres exacts de la "sur-exposition" et qu'en plus, je ne me vois pas du tout leur dire, (ni même penser, vu tout ce que j'ai lu sur le sujet...) "oh 2 heures?! Mais c'est beaucoup trop!". En revanche, si, quand je demande à l'enfant à quoi il aime jouer et que la maman répond (souvent avant l'enfant) "oh bah, il est tout le temps sur la tablette", j'essaye d'en savoir plus (est-ce des jeux éducatifs ? des vidéos ? Des dessins animés ? Seul ? A plusieurs ?) et je demande aux parents et à l'enfant si c'est un sujet qui les inquiète. Si c'est le cas, nous en discutons et nous chercherons éventuellement des solutions ensemble.
- Si les parents ne sont pas inquiets ou n'abordent pas le sujet, j'évite de le faire moi-même. En effet, même si l'enfant vient de passer 3 heures sur un iPad et que les parents sont ravis d'avoir pu lui en offrir un, qui suis-je pour émettre un jugement, une recommandation ou un conseil qui n'était pas demandé, quitte à stigmatiser la famille? Et puis, est-ce que je suis sûre que les activités proposées à la place des écrans seront plus bénéfiques pour le développement du langage ? Comment proposer d'autres alternatives quand on ne connaît pas bien le milieu, la culture dans laquelle est élevée l'enfant? Quand je pense à "faire autre chose qu'être sur des écrans", je pense à dessiner ou lire ou raconter une histoire ensemble, dans ma tête d'ortho-bien-pensante. Néanmoins, comme le disent si bien Ava Guez et Franck Ramus, si les parents décident de laisser l'enfant seul, livré à lui-même, à regarder les trains passer ou à jouer avec une boîte d'allumettes, sans interaction avec d'autres humain·e·s, il n'est pas sûr que son langage se développe mieux que face à un écran.
- Si les parents le souhaitent, pour trouver d'autres activités intéressantes que les écrans, je leur propose notamment la brochure québécoise de Capsana "Kit d'activités Pause" disponible ici. Merci aux stagiaires de Metz de me l'avoir fait découvrir ! :-) Je leur montre aussi le super diagramme du CRAIF, réalisé par l'équipe de Magali Lavielle-Guida et son équipe pour le CRAIF publié sur le blog de Franck Ramus, pour éviter toute culpabilité, du "bouhhh, je laisse mes enfants regarder les écrans". Je parle également de co-visionnage. Je suis néanmoins prudente dans les activités que je propose, car, là encore, je n'ai absolument aucune idée de ce qui est possible pour les parents ou non, de leurs goûts, de leur mode de vie.
- Je garde en tête le fait que l'exposition précoce aux écrans a un lien significatif négatif avec le développement langagier et ai conscience que les recommandations de précaution ne sont pas les mêmes selon les âges. Je fais néanmoins attention
- Au cabinet, je coupe sciemment mon téléphone et désactive les notifications de l'iPad devant les parents et l'enfant et je leur parle de technoférence et de ce que cela implique dans la rupture des interactions.
- En rééducation, j'utilise souvent mon iPad (j'avais parlé des applis que j'utilise dans cet article et de l'utilisation que je fais de mon iPad ici). Certaines applications peuvent être des outils extrêmement intéressants (notamment en CAA) et ont le mérite d'être disponibles à n'importe quel moment. Quand les parents sont présents en séance, nous discutons ensemble de la façon dont l'écran peut être un médiateur et un super support (je modélise, ils essayent, etc.)
Alors que dire, pour conclure ce long article ? Aujourd'hui, nous savons qu'il existe des corrélations entre l'utilisation des écrans et développement des fonctions cognitives et du langage, MAIS corrélation n'est pas causalité. De plus, de nombreuses variables médiatrices peuvent venir atténuer l'effet éventuellement négatif. Des études scientifiques sont encore nécessaires pour réussir à démêler tout cela.
En tous les cas, ne diabolisons pas les écrans... Je crois que dans un monde où les écrans sont partout, il est utopique et même inutile de demander aux enfants de ne pas s'intéresser à ce que les adultes utilisent constamment. Mais, c'est comme tout, trop n'est jamais bon... N'en soyons pas esclaves, faisons attention à ce qu'ils ne "technofèrent" pas dans nos interactions (tant avec les enfants qu'avec les adultes) et utilisons-les comme les formidables outils qu'ils sont (de communication, d'information, de divertissement...) en les utilisant ENSEMBLE et en complément d'autres activités.
Et vous, que pensez-vous des écrans et de leurs usages ?
NB : Comme d'habitude, cet article n'a aucune valeur scientifique, il s'agit juste un partage de mes réflexions et de ma pratique.
Re NB : un grand merci à Anna Bolat pour sa relecture attentive !
Références :
(1). Messerli, F. H. (2012). Chocolate consumption, cognitive function, and Nobel laureates. The New England Journal of Medicine, 367(16), 1562‑1564. https://doi.org/10.1056/NEJMon1211064
(2). Gillioz, E., Bellucci, T., Borghini, A., Gentaz, E., & Lejeune, F. (2022). Les écrans et les jeunes enfants (0-3 ans) dans un contexte de pandémie de COVID-19 : une enquête en ligne conduite auprès de 486 parents. ANAE : Approche Neuropsychologique des Apprentissages chez l’Enfant, 34(178), 321‑331.
(3). ANSES. (2017). Etude nationale des consommations alimentaires 3 (INCA 3).
(4). Combes, C., Guerra, A., Létang, C., & Roy, A. (2022). Usages des écrans : état des lieux auprès d’une cohorte d’enfants français. ANAE : Approche Neuropsychologique des Apprentissages chez l’Enfant, 34(178), 333‑343
(5). Gillioz, E., Lejeune, F., & Gentaz, E. (2022). Les effets des écrans sur le développement psychologique des très jeunes enfants : une revue critique des recherches récentes. ANAE : Approche Neuropsychologique des Apprentissages chez l’Enfant, 34(178), 309‑320.
(6). Dynia, J. M., Dore, R. A., Bates, R. A., & Justice, L. M. (2021). Media exposure and language for toddlers from low-income homes. Infant Behavior & Development, 63, 101542. https://doi.org/10.1016/j.infbeh.2021.101542
(7). Madigan, S., Browne, D., Racine, N., Mori, C., & Tough, S. (2019). Association Between Screen Time and Children’s Performance on a Developmental Screening Test. JAMA Pediatrics, 173(3), 244‑250. https://doi.org/10.1001/jamapediatrics.2018.5056
(8). Tremblay, T., Gagné, A., & Bigras, N. (2021). Family Literacy Activities Mediate the Effects of Recreational Screen Time on Children’s Language Development. Psychology and Behavioral Science International Journal, 17(2021).
(9). Rabel, E. J., Crevola, G., & Dimitrova, N. (Éds.). (2022). Attention conjointe et apprentissage de mots en co-lecture de livre imprimé vs. Numérique chez le jeune enfant. ANAE : Approche neuropsychologique des apprentissages chez l’enfant , 34(178), 345‑353.
(10). McDaniel, B. T., & Coyne, S. M. (2016). “Technoference” : The interference of technology in couple relationships and implications for women’s personal and relational well-being. Psychology of Popular Media Culture, 5, 85‑98. https://doi.org/10.1037/ppm0000065
(11). Stockdale, L. A., Porter, C. L., Coyne, S. M., Essig, L. W., Booth, M., Keenan-Kroff, S., & Schvaneveldt, E. (2020). Infants’ response to a mobile phone modified still-face paradigm : Links to maternal behaviors and beliefs regarding technoference. Infancy, 25(5), 571‑592. https://doi.org/10.1111/infa.12342
(12). Lavigne, H. J., Hanson, K. G., & Anderson, D. R. (2015). The influence of television coviewing on parent language directed at toddlers. Journal of Applied Developmental Psychology, 36, 1‑10. https://doi.org/10.1016/j.appdev.2014.11.004
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Marguerite B (dimanche, 11 juin 2023 22:28)
Merci Claire pour ton article qui fait écho à mes réflexions sur ce sujet . Merci pour ton intéressant travail de synthèse, c est très généreux à toi de nous partager cela.
Carola (lundi, 12 juin 2023 16:16)
Merci beaucoup, Claire ! Ton article tombe pile à un moment où je cherchais de la doc et savoir quoi dire aux parents d'un petit CP qui venait de m'annoncer fièrement qu'il aimait les jeux de guerre interdits aux moins de 18 ans (bon, j'ai cafté à la maman qui était très choquée que son gamin joue à ce genre de jeux; mais je n'ai pas aimé cafter devant le gamin)... J'avoue que jusqu'à présent, je ne savais pas quoi dire sur le sujet, n'étant jamais très à l'aise avec "la guidance parentale" (de quel droit j'irais dire à des parents qui ne m'ont rien demandé comment ils devraient faire ou pas ?) . Ton article me déculpabilise donc et m'aide à y voir plus clair sur ces questions.
Bernadette Denis (lundi, 12 juin 2023 18:26)
Merci pour le partage de tes réflexions
Claire (lundi, 12 juin 2023 22:43)
Merci beaucoup pour vos commentaires ! Ravie que cet article vous serve.